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Dehors novembre

Trois cent cinquante bouteilles de bière qui traînent sur le plancher. Rempli de larmes. Coucher sur la table, la désolation. Un poids trop lourd à porter pour une chaise qui n’a jamais demandé d’être placée là. Une odeur de fumée qui se trimballe d’un mur à l’autre, pour se cogner la tête. Le plus fort possible. De la tapisserie, couverte de honte, qui se jette à terre, pour se faire oublier. Le calorifère, qui a cessé de chauffer son cœur y’a déjà plusieurs semaines, qui maintenant refuse même de faire un petit cliquetis de reconnaissance. Un mégot, sur ses deux pattes, qui se promène entre les débris, habitués des sinistres de l’âme. La tristesse qui se débat dans la porte d’entrée, avec une clé qui a de la misère à s’harmoniser avec la serrure.

 

Sur un divan qui a depuis longtemps pris une forme fixe, un tas de suif qui fixe béatement un détecteur de fumée sans batterie. Lui aussi, vidé de son jus. À terre. Un clignement d’yeux, un long soupir. De la poussière qui s’élève de sa bouche pâteuse. Un fossile sur une causeuse rose, date d’achat : 1993. Une main, qui se promène à tâtons, qui accroche les bouteilles. Cling, che-ling. « Fuck! », celle qui était encore pleine qui se vide sur le sol. Un fleuve de soulagement qui fuit vers l’océan, un baume sur ses plaies qui le déserte, tempête de sable dans sa tête. Une décoration sur son mollet nu, encre noire, Je suis seul pour la vie, « Ouais, mais s’pas moi qui l’a voulu! ».

 

Un appartement abandonné à la dérive, comme son locataire. Un homme qui a lancé son dernier coup de dé. La chance n’a pas tourné. Sa tête oui. De plus en plus. Les idées ne sont plus claires, même avec tout le focus, c’est embrouillé. Une fois de temps en temps, un truc apparaît concis, présent, à lui. Toujours la même chose.

 

Dehors novembre qui joue en boucle. On est en juin… Mon corps c’est un pays en guerre, su’l point de finir, l’image qui revient, précise. Qui le salue, le tente, l’aguiche. Son corps las, pas trop sûr d’avoir la force d’obéir. La désolation qui le regarde, du coin de l’œil, toujours sur son ostie de chaise. La rage. Ça brûle en dedans un instant, un peu d’arsenic sur sa conscience. Ça pique, ça démange. Et ça redevient flou. J’attends un peu, chu pas pressé, j’attends la mort… L’image, claire, trop.

 

La main à tâtons, qui touche un objet de désir. Trois ou quatre entailles sur le bras, et pis pourquoi pas, deux ou trois coups dans la poitrine. Un long soupir de soulagement, de la poussière d’ange qui s’élève et dissipe la fumée. L’appartement se remplit de couleurs vives, de joies, de fêtes. La désolation a claqué la porte. La vie a le cœur léger, même si notre homme n’a jamais été aussi lourd.